dimanche 1 février 2015

Le silence est d'or

L'art et la vie








Ne pas s'impatienter. Laisser les mots reprendre leurs droits.
Tout doucement, permettre à l'indicible de s'exposer. Presque à brut, totalement impudique. 
Une exposition, Camille Claudel à l'affiche. Des milliers d'âmes se retrouvent ici sans s'être donné rendez-vous. La foule brave la pluie battante de cet après-midi maussade. Ils ont rendez-vous avec une vision du monde habillée de marbre ou de terracotta, les vitrines sont la frontière entre le réel et l'imaginaire. 
Debout les uns derrière les autres ils attendent la rencontre avec l'oeuvre de la sculptrice. Ils ont laissé tas de linge, vaisselle et autres vestiges de leur vie quotidienne pour se laisser émouvoir. 
Toutes les générations se croisent ici: du petit bonhomme à capuche à la mamie en imperméable grège, c'est la société en miniature qui se retrouve à la Piscine. 
L'air de rien, se rendre dans un musée, c'est comme étancher sa soif de beau et en ce qui me concerne, j'irais volontiers jusqu'à l'ivresse. J'ai même, et de plus en plus, la sensation de n'exister que pour cette ivresse-la. Le reste me paraît tellement moins palpitant, moins fort, moins tout. 
Alors voilà pourquoi je ne comprends pas qu'ici aussi, l'humain puisse exprimer ce qu'il a de plus vil et de plus laid. Je ne comprends pas la bêtise, les raccourcis de la pensée, les jugements aiguisés comme des pointes de couteau. Je ne comprends pas qu'un rendez-vous aussi beau puisse se terminer par un effondrement intérieur si douloureux. Je ne comprends pas et c'est cette incompréhension qui me fait mal. 
Il a suffit de dix minutes pour que toutes les raisons de la terre qui m'avaient amenée jusqu'ici se ratatinent sur le sol mouillé des pavés de Roubaix. J'ai l'ego complétement cabossé. Cabossé au point de ne pas me tenir droite après l'humiliation et la méchanceté. Cabossé au point de ressentir cette bombe à l'intérieur de moi dès que l'arme du mépris se pointe vers moi. 
Cabossé au point de vomir cette société où l'on a tout, sauf parfois l'humanité vibrante qui susciterait de magnifiques rencontres. Il arrive  que le miracle se produise, qu'au milieu d'une foule écrasante et prête à tout pour assouvir ses désirs narcissiques, tu croises un regard profond, une bouche qui sourit, une main qui se tend. Et c'est à ce moment la que tout s'éclaire, que le temps suspend son vol, que des milliers d'oiseaux colorés te montrent la beauté de la vie. Mais il arrive aussi que tu doives faire face à ce qu'il peut y avoir de pire en l'homme, ravi de te placer dans une petite cage bien fermée avec une grande étiquette sur le front, il te condamne comme au tribunal à n'être personne d'autre que celui qu'il veut que tu sois. 
Et mon ego d'équilibriste n'en sort jamais indemne. 
Ce soir, j'ai la révolte au creux du ventre. Ce soir, j'ai honte à notre liberté et à notre égalité. J'ai honte et j'ai mal. Et le pire, c'est que je ne parviens pas à jouer la carte de l'indifférence, parce que dans mon monde à moi, les mots ne sont pas faits pour blesser. 
Camille Claudel, elle,  s'est tu à jamais.


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