mardi 15 avril 2014

Juste avant la nuit

De la lumière ne sort vraiment rien de bon, à part la nuit. 
Cette journée n'en finit pas de commencer. Comme si le temps avait aboli l'écoulement des heures, la valse des minutes et l'entêtement des secondes. Je n'arrive pas à prendre le dessus, je n'aime définitivement pas les matins. Aucun commencement qui vaille, aucun soleil qui me prendrait par la main pour me signifier que ça vaut encore le coup. 
De ma chambre, abritée sous la couette, ce monde me fait peur. Trop de bruits. Trop d'inconnu. Trop d'étrangeté. Comme une menace sournoise, planquée dans les murs de ma vie. Et je suis lassée de me battre contre cet incommensurable désordre. 
Hier, pourtant, j'ai mis le nez dehors. Il paraitrait que lorsqu'il fait beau, tout est plus simple. Comme si le soleil gommait miraculeusement ce qu'on a de plus sombre en soi. J'ai traversé le quartier avec le regard d'une étrangère, une solitude implacable et douloureuse m'a emprisonnée avec mes peurs les plus acérées. J'ai marché jusqu'au Quai du Wault à l'abri de la foule et j'ai tenté de ramener un peu de calme à l'intérieur de mes cellules, tentant de faire le vide dans ce fatras d'idées noires et obsessionnelles. J'ai senti le soleil réchauffer mon corps douloureux, j'ai fermé les yeux comme pour reprendre vie dans la vie. En vain. Comme si la peur avait pris possession de mes pensées les plus infimes, elle ne m'a pas laissée en paix. Je crois que cette succession d'épreuves à laquelle est soumise ma vie m'a réduite à n'être plus que le fantôme de moi-même. J'accuse le coup, et je manque affreusement d'oxygène. Je m'enfonce dans d'innombrables pensées, et je suis engluée dans une peur infinie de tout. 
Dans l'appartement, le silence est de plomb. J'aime ça. C'est reposant et ça laisse un peu de place aux rêves qu'il me semble encore avoir la force de construire. C'est juste que ce corps lourd à porter et ces idées vêtues de noir ont trop souvent le dernier mot. Cette nuit encore, j'ai rêvé. J'étais seule dans une maison sans meubles et sans âme. J'avais peur de traverser la pièce qui me faisait face, mais je savais qu'il allait pourtant falloir franchir le pas. En avançant dans l'obscurité, il me semblait distinguer de la lumière sous la porte, comme si cet endroit de la maison avait été épargné de l'obscur et du ténébreux. J'ai ouvert la porte. Un homme vêtu de noir se tenait face à la fenêtre et son visage semblait avoir absorbé toute la luminosité du dehors. Je l'observais sans crainte, attirée par l'étrangeté qu'il dégageait. Il ne m'a rien dit, il ne m'a pas remarquée, et j'ai ainsi pu contempler l'infinie poésie de sa présence.
Ce matin encore, ce rêve me colle à la peau. J'essaie d'en cerner le sens, d'en mesurer la portée. 
Je ne sais pas si j'ai raison de le faire, mais je sais que je vais devoir lui parler. J'ignore encore comment, mais c'est l'inextricable épreuve à laquelle je dois soumettre ma vie. 
Je m'habille avec dégoût, je n'ai plus envie d'être jolie depuis longtemps. Je ne sais pas quelle heure il est, et je m'en moque. Je dois sortir, c'est impératif. Quitte à subir les coups de sabre de mes pensées les plus tranchantes. Je ne suis pas qu'un nombril agrémenté d'égoïsme sauvage. Je ne suis pas la seule âme perdue ici. Il y a bien d'autres souffrances, bien d'autres vies cabossées qui se cherchent et qui saignent. 
Lui parler. Envahir de cris l'espace de ma vie. Hurler. Sortir de mes tripes d'incommensurables cortèges de mots jusqu'à ce que la douleur soit domptée, maîtrisée, complètement à ma merci. 
Le soleil décline. Je marche le dos voûté, en proie à de vives douleurs qui lassèrent ce corps négligé, en friche, à l'abandon. 
Lui parler. C'est peut-être la seule porte de sortie envisageable, l'issue de secours pour ma vie funambule. J'ai décidé d'y croire. De croire au fabuleux pouvoir des mots. Il faut maintenant leur ouvrir la cage, les apprivoiser. Je sais que c'est à mission qu'est suspendue ma petite vie. Ecrire à ce destinataire fabuleux qu'est sa propre existence. 
La nuit tombe sur la ville. De petites ailes me poussent au bout des doigts. L'égout sans fond de mes angoisses va peut-être trouver matière à s'exprimer. 
De retour à la maison, j'ai la sensation qu'une histoire commence, que le reflet de la Lune est encore plus sublime qu'hier, que tout n'est peut-être pas destiné au pire. 
Et ce peut-être m'enivre.

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